Lettre d’information 1998 (Archives)
⭕️ Afin de faciliter la lecture, nous vous proposons le facsimilé et une transcription d’extraits.
Cette sélection d’archives a pour but de présenter le travail des membres de l’association et le combat pour relayer l’information. Les lettres d’information étaient imprimées en noir et blanc.
📆 1998
EDITORIAL
Pour préserver leurs droits fondamentaux
La Perse, cet empire des plus anciens et des plus puissants du Moyen-Orient, carrefour stratégique et lien, longtemps privilégié, entre l’orient et l’occident n’évoque-t-elle pas un peu de magie et de rêve ?
Devenu Iran au lendemain de la seconde guerre mondiale, elle n’est pas moins mystérieuse, son dualisme déjà marqué dans l’Avesta opposait alors les dieux et les démons, l’ordre et le mensonge. Aujourd’hui encore, dualismes spirituel et politique marquent au fer rouge ce pays divisé. Mais le plus étrange et attractif est sa population : les iraniens au cœur bouillonnant, avides d’espoir et de liberté, ces combattants pour la vie contre l’autre face cachée de l’Iran contre l’obscurantisme et le fanatisme des mollahs. (…)
Cependant et heureusement, des hommes et des femmes à travers des associations telles que MoHa, se sentent concernés par le devenir d’autrui, par ce combat pour la liberté.
MoHa travaille au quotidien pour rendre la parole à ceux qui n’ont plus de voix. Une lutte tous les jours pour faire connaitre la réalité, la vérité, pour tendre les deux mains à ceux qui ont fui la torture, la hargne de certains, et qui n’ont plus rien.
Cela ne bouleversera certes pas le monde et ses retors, mais je suis convaincue que çà et là, en réunissant des énergies et les bonnes volontés nous rendons un peu d’espoir et de lumière. Un peu d’essentiel.
L’amour, la liberté et le savoir ne sont pas encore vains. Et le devenir de l’homme passe par le devenir de l’humanité. Ainsi au détour d’une discussion impromptue, chaleureuse et riche, je découvris l’association MoHa. Choc des énergies ou véritable rencontre – de celles qui vous enrichissent et vous redonnent un peu de souffle – toujours est-il que le travail s’est fait spontanément.
L’ère Khatami sera- t-elle l’ère de la rénovation et du changement ?
Peut-être ? Peut-être pas…
Mais MoHa et ses membres continuerons à croire et à lutter pour qu’avance à petits pas la longue route qui mènera le peuple iranien à la liberté.
Vie et nouvelles des iraniens et de l’exil
Enseignement et jeunesse
Universités
Le budget des universités représente 1,29% du budget total de l’état. Celui de la lutte contre l’invasion culturelle est plus élevé que celui de la recherche qui est de 1%.
Législation
Une loi visant à faciliter l’accès de l’université aux étudiants hezbollahs, aux anciens soldats de la « guerre sainte » ou aux enfants de martyrs a été votée par le parlement islamique au mois de juillet 1998 (un quota de 40% leur avait déjà été accordé).
Une nouvelle discipline obligatoire est enseignée dans toutes les universités : « les bienfaits du martyre ».
Grèves, manifestations, attaques et arrestations
Depuis l’élection du président Khatami, l’intensification des mouvements estudiantins en Iran a été largement rapportée par les médias locaux et internationaux. Dès janvier 1998, ces mouvements prenaient une ampleur inquiétante, et cette situation se prolonge malgré l’intervention musclée des forces de l’ordre.(…)
En février, les mouvements spontanés s’intensifiaient. A la mi-février, les responsables universitaires et politiques contre attaquaient, alternant discours menaçants, interventions des forces de l’ordre et de la milice officieuse, agressions contre des professeurs et intimidations des étudiants- en particulier des filles. Un exemple révélateur : le 12 février, l’école religieuse d’Ispahan était envahie par des hezbollahs et les talabehs (étudiants en théologie) étaient sauvagement battus ; 2 personnes sont portées disparues depuis (Salam). A la fin février, les dirigeants religieux, et parmi eux Mechgini, président de l’assemblée des experts pour la désignation du Guide suprême, mettaient en garde contre les « murmures des jeunes, des étudiants, des talabehs et des lycéens qui critiquent le principe du règne du jurisconsulte » (…)
Fin mars une liste de 35 étudiantes « fautives » a été publiée ; elle recensait les délits vestimentaires et les conduites anti islamiques à l’université privée islamique. Sur des panneaux, dans les couloirs de la faculté de droit, les noms des jeunes filles étaient affichés, suivis des numéros de leur carte et de la mention de « faute » (foulard mal serré, yeux maquillés, etc.). Ces faits ont été rapportés par des communiqués émanant d’étudiants et repris par les journaux. (Radio Pejvak, 20 mars 1Hamchahri, 998).(…)
En juin et juillet, 2000 étudiants ont organisé une grève prolongée sur le campus de Téhéran. Des manifestations ont eu lieu en province, en particulier à Ispahan, où 4000 boursiers protestaient contre leurs conditions d’étude (Hamchahri, 3 juin 1998). (…)
Lors des violents défilés du mois de mai dernier, des étudiants du bureau de Tahkim Vahdat (pro Khataml) protestaient contre les modalités des élections législatives, tandis que les étudiants bassiji exigeaient la démission de certains ministres.(…)
Ainsi durant le discours de M. Khatami, le 22 mai, des slogans ont fusé, tels que :
Mort à la tyrannie ! Mort aux talibans locaux !
Safavi-Pinochet l’Iran n’est pas le Chili ! (Rahim Safavi est le commandant en chef des pasdarans) (Hamchahri, 22 mai 1998). (…)
Paroles de professeurs et d’étudiants.
« J’ai été renvoyée pour conduite anti islamique. Le motif évoqué étant des mouvements de main au tableau qui excitaient les étudiants ! »
« Moi, je suis renvoyée d’office et interdit de cours pour cinq ans. Mon délit : posséder une antenne parabolique. (Témoignages de deux professeurs de province recueillis par MoHa) ». (…)
Education.
Entre les écoles d’état, insuffisantes en nombre, où les conditions d’étude sont intolérables, et les écoles privées, accessibles à une infime minorité d’écoliers aisés, des millions de jeunes iraniens risquent de payer les frais de la libéralisation de l’enseignement. Ainsi à Bandar Abbas au sud de l’Iran, 30000 enfants ne peuvent déjà plus aller à l’école faute de moyens. …
Le 6 septembre dernier le journal Djamhouri Eslami affirmait que selon une étude effectuée dans 18 provinces du pays, 90% des écolières souffraient de malnutrition. Une terrible discrimination nutritionnelle serait infligée aux fillettes au sein des familles. Aussi, plus de 90% des fillettes quittent l’école dans les zones rurales et certaines villes de province dès les premières années de primaire. Les fillettes travaillent aussi à mi-temps dans les champs.
La drogue
Déclaration de M. Moussavi, du ministre de l’éducation : « 60% des drogués du pays ont moins de 30 ans(…). L’usage de la drogue dans les écoles et les lycées a doublé en un an ». (Djamouhi Eslami, 11 aout 1998). (…)
Un enseignant de la ville sainte de Qom proteste : « Au lieu d’organiser manifestation sur manifestation à Qom, les responsables feraient mieux de penser aux fléaux que représentent la drogue, la prostitution et les conditions de vie lamentables de la jeunesse dans cette vielle ». (Salam, 11 juin 1998).
Déclarations de jeunes lycéens au magazine Jamé’é Salem (« Société saine »), n°35, octobre 1998.
Les lycéennes Nazanine Mo’tamedi, Golbahar Dadian et Solmaz Mohajer.
« Le hejab (voile) doit être intérieur. Dans certaines écoles, le tchador (long voile noir) est devenu obligatoire sans qu’aucune loi n’ait été promulguée. »
« J’ai horreur de l’hypocrisie ambiante des responsables du lycée, qui nous promettent des cadeaux en échange d’une pratique religieuse régulière (prière, jeûne, etc…. ».
« La mixité dans les écoles, et dès l’école primaire, nous apprendrait la fraternité mieux que tous les discours…. »
« Comment accepter l’autorité morale de gens qui ne se brossent même pas les dents ? (ndr : la milice des mœurs est constituée de jeunes partisans très peu éduqués) »….
« Khatami a parlé de remettre l’Iran sur pied… Mais il ne représente qu’une autorité protocolaire. »
« La censure n’a pas cessé. Les conseillers dans les écoles vous questionnent sur les livres que vous lisez, sur votre vie personnelle… »
« Y en a marre des espions qui fouillent dans nos sacs, confisquent les miroirs et ne vous les rendent pas ! Chaque miroir confisqué vaut deux points retirés à la note de conduite (ndlr : une bonne note de conduite islamique est indispensable à l’entrée à l’université : voir lettre n°2). Sommes-nous des criminels ou des trafiquants pour être traités comme ça ? »
En fait, toutes ces horreurs que nous subissons sont de notre faute : c’est parce que nous restons silencieux ! ».
« On nous dit que si on aime pas la loi on n’a qu’à partir ! Mais la loi, ce n’est pas une affaire de gout personnel… Pourquoi un homme devrait-il avoir quatre femmes légales ? Et pourquoi un enfant doit-il être considéré comme le bien du père ? Il faut changer ces lois. »
« Le délit d’apparence, ça ne concerne pas que les filles. »
« Pour eux (les dirigeants), tous nos problèmes se résument à une coupe de cheveux. Il y a quelque temps, ils nous obligeaient à nous couper les cheveux à la tondeuse (sabot n°2). Dès que c’est devenu à la mode ils l’ont interdit. La mode, c’est leur obsession. Pas la notre !! ».
« Pourquoi cette satanisation de l’Occident ? La technologie, toutes ces découvertes fabuleuses du monde occidental nous permettent de nous permettre de nous tenir au courant. »
« Nous ne sentons pas en sécurité. Car ils (les riches) achètent la justice. »
Liberté d’expression
Médias
Dans la presse, qui connait une floraison de nouvelles publications, plus rien ne semble tabou, à part la religion et « son représentant », le Guide suprême.
Les journalistes déballent toutes les tares de cette société islamique : torture des prisonniers, propagation du sida, drogue et prostitution galopantes, corruption générale du pouvoir, ras-le-bol de la jeunesse, y compris chez les étudiants en théologie, chômage en hausse et grèves ininterrompues, grognes, manifestations « intifada » des déshérités… Tout y passe. (…)
A nos yeux, cependant, la raison essentielle réside dans la nature même de l’oligarchie en place, de nature féodale. (…)
Le quotidien Djahan islam dirigé par Hadi Khaméneih frère du Guide suprême et son farouche opposant, interdit depuis quelques années pour outrage au Guide, a été réhabilité par les proches du président Khatami. Le frère contestataire déclarait : « Un régime peut survivre au kufr (agnosticisme), il ne survivra surement pas à l’injustice ».(…)
Attaollah Mohadjerani défend la lapidation et une certaine idée de la liberté.
« La liberté (sans bornes) que souhaitent certains ne sera pas de mise ici…. Si l’une de vos était interdite, vous saurez que c’est moi le responsable ! » (discours à des metteurs en scène, janvier 1998,Jamé’é). A son retour en Iran, suite à la visite à l’UNESCO, le ministre de l’orientation islamique d’est vu reproché par les journalistes iraniens lors d’une conférence de presse de n’avoir pas assez défendu les lois islamiques, notamment celle sur la lapidation, à Paris. Il a répondu en substance à la presse iranienne : « e ne remets en cause aucune de nos lois sacrées… mais la lapidation devrait être appliquée dans le cercle fermé des croyants afin de ne pas donner de prétexte à des propagandes contre notre régime » (Ressalat, 8 avril 1998).
Rushdie suite sans fin.
« C’est un ordre irrévocable » a affirmé le porte-parole du ministère des Affaires Etrangères (communiqué officiel).
« Rushdie doit être assassiné, c’est un devoir qui incombe à tous les musulmans » a affirmé Moteza Mogtada’i, provocateur général des tribunaux révolutionnaires (radio Iran).
« La fatwa est un ordre divin qui doit être exécuté », confirmait Nategh Nouri, président du parlement, lors d’une séance officielle (Radio Iran).
La fondation gouvernementale 15-bordad envisage d’augmenter la prime promise à celui qui assassinerait Salman Rushdie à 3 millions de dollars, a déclaré Hassan Sané’i, son porte-parole.
Visite
En avril Roger Garaudy a rendu visite à tous les hauts dignitaires iraniens pour solliciter leur aide matérielle et morale afin d’être en mesure de défendre ses thèses révisionnistes. Nategh Nouri, président du parlement a déclaré : « Ceux qui se prétendent les défenseurs de la liberté d’expression ont osé trainer en justice un grand philosophe comme Garaudy. »
Droits de l’homme, droits de la femme
Suicides
Une jeune fille arrêtée en compagnie d’un jeune homme s’est pendue au siège du comité des Mœurs d’Abadan (sud de l’Iran) où les avait conduits la milice. La peur du scandale semble avoir été le motif du suicide (Farda, 13 avril 1998).
Quatre sœurs âgées de dix, douze, quinze et dix-sept ans, se sont immolées par le feu à Darab, dans la province de Fars (centre) pour échapper à la misère (radio Israël, 16 juin 1998).
Arrestations
(…)Les arrestations pour « délit vestimentaire » continuent dans les grandes villes en dépit des changements survenus dans les grandes métropoles, où les vêtements des femmes sont plus gais et colorés (source MoHa). Arrestation massive de femmes mal habillées à Téhéran (France Inter, 25 juillet 1998).
Une ligne rouge pour les femmes.
« Sous le shah, les femmes n’osaient questionner les grands religieux. Aujourd’hui, celles qui grâce à la révolution ont gagné du prestige et siègent à l’Assemblée osent nous demander pourquoi le tchador, pourquoi l’inégalité dans l’héritage etc. Attention qu’elles ne dépassent pas la ligne rouge ! » (L’imam du vendredi à Racht, au nord de l’Iran, cité par Arhahr le 8 février 1998).
La république islamique ne ratifiera pas la Convention internationale contre la discrimination des femmes. Mohammad Khatami, a refusé que l’Iran signe ladite convention. (…)
Des dirigeants parlent de la torture en Iran et leurs proches du terrorisme d’état.
Ahmad Rezaï, vingt-quatre ans, étudiant en mathématiques, fils de Moshen Rezaï, ex-ministre des pasdarans et actuel secrétaire du Conseil du discernement présidé par Hachémi Rafsanjani, s’est exilé aux Etats-Unis. Dans une série d’interviews accordés aux médias il a qualifié les hauts dirigeants de son pays (en particulier Hachémi Rafsanjani et le guide Ali Khaménei) d’assassins, d’incapables, de corrompus, de dilapideurs des richesses du pays. (…)
Gamhossein Karbastchi, le maire de Téhéran, a confirmé lors de son procès, le 12 juillet 1998, qu’il avait été torturé en prison : « Durant mes trois ans d’incarcération dans les prisons du Chah je n’ai jamais pleuré, mais au cours de ces derniers onze jours d’emprisonnement j’ai pleuré tous les soirs ! ». (…)
Les iraniens à l’étranger
Quelques bonnes nouvelles
Plusieurs de nos membres demandeurs d’asile en France et aux Pays-Bas ont obtenu leur statut de réfugié de la commission de recours. Les délégations de MoHa étaient soutenues par des associations, notamment le Cnafal et le Gisti, soit en personne soit par des pétitions et des lettres adressées aux responsables. Nous les en remercions vivement.
De jeunes artistes ont pu être logés par des bénévoles. Nous remercions tout particulièrement Mme Michèle R. pour son aide. Ces membres ont également obtenu une bourse pour l’apprentissage du français. (…)
Paroles d’immigrés
Esfandiari, vingt-huit ans, ex-assistant à la faculté d’agronomie de Varamine (près de Téhéran) :
« Depuis trois ans je voulais quitter l’Iran. Après l’élection de Khatami, j’ai quand même attendu pour voir.
Lors des affrontements dans les universités, c’est nous qui avons souffert le plus. La preuve, j’ai été licencié pour avoir « fomenté des troubles à l’université au sein d’une association louche » ! Je risquais l’arrestation à tout moment. J’ai dû partir. Et la guerre n’est pas finie… Vous verrez. »
Kiomard Namjoui, vingt-quatre ans, photographe sportif :
« On m’a fracassé mon appareil sur la tête parce que j’avais pris des photos d’un homme qui se faisait tabasser par les gardiens de la révolution lors d’une manifestation de Téhéran après un match préparatoire pour le Mondial.
J’ai obtenu un visa de sortie en dépensant beaucoup d’argent pour partir et ne plus jamais revenir. Les mollahs ne changeront jamais. » (…)